23 feb. 2010
Philippe Ricard et Jean-Pierre Stroobants
Les Vingt-Sept reprochent à M. Barroso d'avoir nommé sans concertation un proche à Washington
Catherine Ashton, la haute représentante pour les affaires étrangères de l'Union, va devoir jouer les arbitres : les capitales européennes et la Commission ont engagé un discret bras de fer pour placer leurs ressortissants aux postes clés de la diplomatie des Vingt-Sept.
Ce conflit est une évidence depuis que José Manuel Barroso, le président de l'exécutif, a choisi d'envoyer un de ses proches à la tête de la délégation européenne à Washington.
D'ici à l'été prochain, Joao Vale de Almeida doit remplacer à ce poste stratégique l'ancien premier ministre irlandais John Bruton. M. Vale de Almeida a été chef de cabinet et " sherpa " diplomatique de M. Barroso, avant de prendre, à l'automne 2009, la direction générale " relations extérieures " de la Commission.
La décision prise voici une semaine par M. Barroso a fait des vagues, lundi 22 février, lors d'une réunion des ministres des affaires étrangères des Vingt-Sept, à Bruxelles. " Ce n'est pas la personne qui est en cause, mais la procédure ", a indiqué Pierre Lellouche, le secrétaire d'Etat français aux affaires européennes : " Nous souhaitons l'application du traité, rien que le traité : il faut que la haute représentante nomme les chefs de délégation et que les Etats soient consultés ", a-t-il insisté.
Carl Bildt, ministre suédois des affaires étrangères s'est, lui, fendu d'une lettre à Mme Ashton pour contester les modalités du choix de M. Vale de Almeida. " Il n'y a eu aucune consultation, a-t-il expliqué lundi. En 2004, nous étions d'accord pour que ce poste soit attribué à un homme politique, et c'est un haut fonctionnaire qui est aujourd'hui nommé sans que personne n'ait pu en discuter ", a regretté le chef de la diplomatie suédoise.
Juridiquement, le président de la Commission et la haute représentante étaient en droit de trancher seuls, en l'attente de la mise en place du service commun d'action extérieure (le futur service diplomatique commun aux Vingt-Sept), l'une des principales innovations du traité de Lisbonne. " Il s'agit d'une rotation qui aurait dû être décidée en 2009 ", s'est défendue Mme Ashton, vice-présidente de la Commission. Mais, a-t-elle fait valoir, aucune décision n'a pu être prise plutôt en raison de la longue période de vacance liée à la nomination de la nouvelle Commission.
Certains Etats membres soupçonnent M. Barroso de vouloir placer ses proches à des postes en vue avant de perdre la main sur les nominations. " C'est un mauvais signal si la Commission commence à truster les postes sans attendre la création du service diplomatique extérieur ", s'inquiète un diplomate belge. Les Etats membres exigent de siéger au plus vite dans un comité de sélection des candidats.
L'affaire est d'autant plus sensible que la création du service diplomatique commun prend du retard. Les Etats tiennent à fournir un tiers du personnel de la nouvelle entité, l'essentiel des effectifs provenant de la Commission et du secrétariat du Conseil. Les capitales, Paris en tête, veulent placer leurs ressortissants dans la haute hiérarchie du service. Elles revendiquent aussi d'être associées aux nominations diplomatiques, une trentaine de chefs de délégations devant être renouvelés dès cette année : en Chine, au Japon, en Afrique du Sud, en Argentine, etc.
Après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les délégations de l'Union européenne (UE) ont vu leurs prérogatives renforcées. Elles auront notamment pour mission de coordonner les positions des ambassades nationales sur tous les sujets engageant l'Union.
Les Etats d'Europe centrale sont particulièrement vigilants. Pour eux, la création du service doit être l'occasion de renforcer leur présence dans les institutions. Cinq ans après l'élargissement, les anciens Etats membres s'y taillent toujours la part du lion. " Il n'est pas normal que les nouveaux membres n'occupent aucun poste d'envergure ", commente un haut responsable polonais.
Mme Ashton risque pourtant d'avoir d'autres soucis alors qu'elle vient de nommer un ancien ministre des affaires étrangères lituanien au poste important de représentant de l'UE en Afghanistan. Vygaudas Usackas a été préféré à deux autres candidats alors que des députés européens s'étaient interrogés sur sa capacité à assumer cette fonction. Pino Arlacchi, eurodéputé libéral italien, avait notamment posé des questions sur sa connaissance du dossier afghan et noté que M. Usackas avait fait l'objet de vives critiques dans son pays pour avoir, semble-t-il, dissimulé une partie de la vérité quant à des opérations antiterroristes secrètes de la CIA en Lituanie.
Philippe Ricard et Jean-Pierre Stroobants